Ukraine-Russie : un accord impopulaire pour le président Volodymyr Zelensky.

Depuis le 20 mai 2019, Volodymyr Zelensky est le nouveau président ukrainien élu à près de 70% des suffrages. Ancien humoriste, et déjà connu grâce à son ancienne série « Le Serviteur du Peuple » (aujourd’hui nom éponyme de son parti politique), dans laquelle il jouait le rôle de président, M. Zelensky fait face à une contestation grandissante provenant d’une Ukraine en colère et inquiète – certains l’accusant d’une faiblesse, voire même d’une « capitulation » face à son homologue russe, Vladimir Poutine. En pleine reconstruction politique et sociale après la Révolution de la Dignité de 2014, dite d’Euro-«Maïdan», du nom de la Place située en plein cœur de Kiev, connue pour être le bastion des manifestants anti-Ianoukovitch, l’Ukraine fait aujourd’hui face à une guerre à l’Est, notamment dans le Donbass, une région limitrophe de la Russie, et à l’annexion de la Crimée effectuée par la Russie en mars 2014.

Il faut dire qu’il n’a pas été élu dans un contexte facile. Ayant hérité d’une Ukraine en pleine reconstruction, mais aussi en pleine guerre au front est de l’Ukraine, opposant forces fidèles à Kiev et séparatistes prorusses, soutenus par Moscou, Volodymyr Zelensky a eu la difficile tâche d’effectuer un numéro d’équilibriste, entre mettre en œuvre ses mesures économiques et sociales immédiates, faire preuve de progressisme, surtout pour une jeunesse en quête d’européanisation, mais aussi ne pas donner le signal politique de flancher face à la Russie, en endossant, à 41 ans, le rôle de chef de guerre. Et pourtant, c’est sur Instagram que Zelensky, fort de ses 9 millions d’abonnés, a appelé le président russe « à parler », il y a quelques semaines. Avec plus de 13 000 morts à l’est de l’Ukraine (certaines statistiques non-officielles porteraient même le nombre de décès liés à la guerre à plus de 20 000 personnes), le président ukrainien n’aurait eu donc guère de choix que de signer un accord avec Moscou, qui prévoit notamment l’évacuation des troupes ukrainiennes et pro-russe dans l’objectif de donner une autonomie inédite à cette région profondément russophone.

En pleine « affaire ukrainienne » venant de Washington, un accord de paix au rabais ? C’est en tout cas la question qui se pose à Kiev du côté de certains manifestants. Déjà en plein cœur, malgré lui, du scandale de « l’affaire ukrainienne » car victime de chantage de la part de Donald Trump qui n’a pas trouvé mieux que de conditionner l’aide financière américaine – essentielle sinon vitale pour l’armée ukrainienne – à l’ouverture d’une enquête contre le fils Biden, Volodymyr Zelensky fait face à de nombreuses critiques, allant de l’« amateurisme » de sa politique à « manipulable ». C’est dans ce contexte déplorable que le président ukrainien est amené à prendre des décisions qui décideront de l’avenir de millions d’âmes à l’est de l’Ukraine.

L’instabilité de Donald Trump se couple aussi avec les hésitations de l’Union européenne. Les accords avec la Russie ont déjà fait l’objet de fortes critiques au sein de l’opinion ukrainienne, les Accords dit de « Minsk II », octroyant de forts pouvoirs politiques au camp séparatiste. François Hollande et Angela Merkel faisant partie des négociants, ils ont symbolisé aux yeux de la classe politique ukrainienne, les prémices de l’abandon de l’Union européenne face à Moscou. Aujourd’hui encore, Emmanuel Macron, dans sa politique de détente envers la Russie, est vu d’un très mauvais œil à Kiev où certains l’accusent d’abandonner l’Ukraine au profit des intérêts économiques avec Moscou.

Ainsi, les accords signés le 1er octobre dernier à Minsk qui prévoient une autonomie supplémentaire au Donbass ne passent pas. Plus de 300 rassemblements ont eu lieu partout en Ukraine, rassemblant notamment des vétérans de l’armée ukrainienne et des organisations non gouvernementales.  Aux cris de « non à la capitulation », ils rejettent en majorité la formule dite de « Steinmeier », du nom du Président et ancien ministre des affaires étrangères allemand, réputé pour avoir une lecture des relations diplomatiques plutôt favorables envers Moscou.

La crédibilité politique de Volodymyr Zelensky en jeu ?  Ce qui est sûr, c’est que les Ukrainiens ne veulent plus de décisions prises contre leur gré, ou sans les en informer. La communication du camp Zelensky se retrouve ainsi fortement critiquée puisque le Président ukrainien est accusé d’avoir signé ces accords en toute discrétion. Plusieurs enjeux émergent, et sont notamment instrumentalisés par les manifestants pour signifier leur mécontentement à Kiev. Sur le plan identitaire, par exemple, avec une crainte qu’une paix en ces termes avec Moscou amoindrisse l’évolution de la pratique grandissante de la langue ukrainienne au profit de la langue russe déjà fortement présente en Ukraine. Ce sont aussi des enjeux économiques qui sont évoqués du côté des manifestants, reprochant à Volodymyr Zelensky d’utiliser l’argent des contribuables pour des régions contrôlées indirectement par Moscou. 

La contestation grandit, et ce n’est malheureusement pas l’entourage proche du président ukrainien qui apaisera la situation : Andriy Bohdan, chef de l’administration présidentielle, balaie les accusations de capitulation et accuse la majorité des manifestants d’avoir été payés pour participer aux rassemblements. 

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